l etat est il un mal nécessaire

LEtat peut véritablement être un mal s'il s'agit d'un Etat illégitime. Différent de l'État légitime dans lequel il y a des lois pour tous et par tous qui assurent l'égalité et la Étatde Santé : L’expérimentation animale : un mal nécessaire ? L’expérimentation animale a permis des avancées thérapeutiques significatives mais aujourd’hui, elle révolte de plus en plus l’opinion publique. Sous la pression citoyenne, l’Union européenne a interdit en 2004 l’utilisation d’animaux dans le cadre de la Al’observation, la corruption constitue l’un des cancers de notre société, et une entrave majeure à notre marche vers le développement. Au Cameroun nous la rencontrons à chaque coin de rue, soit en tant qu’acteur, soit en tant que victime. Le phénomène n’est pas en perte de vitesse, malgré les actions symboliques et pratiques Dissertationphilo : « L’état est-il un mal nécessaire » On entend par Etat une autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble d’un peuple et d’un territoire donné. Ce peuple réunissant des individus singuliers on dira que son autorité s’applique sur une société. Or dans les sociétés anciennes, l’Etat n’existait pas ou tenait une place différente selon les Lespiétons de la contestation sont un mélange d’antivaccins, d’anti-passe sanitaire, d’anti-QR Code, d’anti-Macron, d’anti-État, etc. L’usage du préfixe «anti» est aussi commode Site De Rencontre Femme Qui Cherche Homme. Consommation9 février 2013Le gouvernement s'interroge sur une éventuelle entrée de l'Etat chez de sauvetageLe contexte pourrait être propice au soutien de PSA, qui s'efforce de développer la technologie hybride malgré ses difficultés financières. Mais une politique globale s'impose, s'adressant tant aux grandes entreprises qu'à leurs sous-traitants et visant la de l'Etat au capital de PSA, un mal nécessaire ?avec Jacques SapirLe gouvernement "réfléchit" quant à une entrée dans le capital de PSA a-t-on appris vendredi matin. Les raisons en sont évidentes. La crise de l’automobile a particulièrement fragilisé le groupe, qui a enregistré des pertes sévères. Depuis la fin de 2011, les pertes opérationnelles sont de l’ordre de 200 millions d’Euro par mois. Les résultats consolidés indiquent quant à eux des pertes sur l’année 2012 qui sont estimées à plus de 5 la stabilité financière du groupe n’est pas encore directement mise en cause, ces pertes risquent de peser sur l’investissement. Le groupe PSA, qui vient de déprécier massivement ses actifs, n’aura probablement pas le choix, même s’il refuse pour l’instant d’évoquer la possibilitéd’une prise de participation de l’État. La question du développement de la technologie des moteurs hybrides demandera des sommes importantes. Jérôme Cahuzac, le Ministre du budget a pour sa part reconnu que la possibilité existait pour l’État d’entrer dans le capital de PSA par l’intermédiaire du Fond Stratégique d’Investissement. Même s’il a été partiellement démenti par le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, mais le gouvernement n’en est plus à un "couac" près, la question est à l’évidence à l’ordre du telle opération n’aurait rien d’extraordinaire. Ce fut, après tout, la stratégie du gouvernement américain en 2009. Mais elle pose un certain nombre de problèmes. Une entrée dans le capital d’un groupe connaissant de grandes difficultés présente deux types de risques pour l’État un risque économique, que cet argent soit dépensé à fonds perdus, et un risque politique, que l’État soit contraint d’avaliser et même de promouvoir un plansocial après avoir apporté son soutien aux ouvriers de l’usine d’Aulnay, le gouvernement socialiste se ferait le bras armé de nouvelles réductions d’effectifs. Assurément, cela n’empêchera pas le Ministre de l’intérieur de dormir. On voit bien que Manuel Valls s’apprête à endosser le costume de Jules Moch. Mais, cela impliquerait une cassure lourde de conséquences entre le gouvernement et une grande partie des salariés français. À l’inverse, s’il se refuse à assumer les plans sociaux, le gouvernement prend le risque de voir l’hémorragie financière se le fond, la question d’une entrée dans le capital de PSA pose le problème de cohérence générale de la politique industrielle du gouvernement. Pour l’heure cette politique se limite à une action au coup par coup. Il s’agit de sauver ce qui peut encore l’être du tissu industriel français. Ceci n’augure pas bien de ce que pourrait signifier cette entrée dans le capital de PSA. Une politique globale, s’adressant tant aux grandes entreprises qu’à leurs sous-traitants et visant à la réindustrialisation du pays s’ la cohérence de cette politique passe aussi par l’instrument monétaire. La France a besoin d’une monnaie dont le taux de change serait compris entre 1,00 et 1,05 dollar, au plus, si elle veut mener une telle politique. Elle ne pourra l’obtenir dans le cadre de l’Euro. Et c’est bien là que le bât blesse. En s’en tenant à une défense de l’euro, le gouvernement se prive des moyens de concevoir et de mettre en œuvre une telle Lire AussiPSA la fermeture du site est inéluctable selon MontebourgPSA Peugeot Citroën vers une perte comptable historiquePSA une entrée de l'Etat au capital ? "Possible" dit Jérôme Cahuzac, "non" affirme Bercy"Ça peut plus durer" le rap des ouvriers de l'usine PSA d'AulnayMots-ClésThématiques Texte de Rousseau Ce qu’il y a de plus nécessaire, et peut-être de plus difficile dans le gouvernement, c’est une intégrité sévère à rendre justice à tous, et surtout à protéger le pauvre contre la tyrannie du riche. Le plus grand mal est déjà fait, quand on a des pauvres à défendre et des riches à contenir. C’est sur la médiocrité seule que s’exerce toute la force des lois ; elles sont également impuissantes contre les trésors du riche et contre la misère du pauvre ; le premier les élude, le second leur échappe ; l’un brise la toile, et l’autre passe au travers. C’est donc une des plus importantes affaires du gouvernement, de prévenir l’extrême inégalité des fortunes, non en enlevant les trésors à leurs possesseurs, mais en ôtant à tous les moyens d’en accumuler, ni en bâtissant des hôpitaux pour les pauvres, mais en garantissant les citoyens de le devenir. Les hommes inégalement distribués sur le territoire, et entassés dans un lieu tandis que les autres se dépeuplent ; les arts d’agrément et de pure industrie favorisés aux dépens des métiers utiles et pénibles ; l’agriculture sacrifiée au commerce ; le publicain rendu nécessaire par la mauvaise administration des deniers de l’État ; enfin la vénalité poussée à tel excès, que la considération se compte avec les pistoles, et que les vertus mêmes se vendent à prix d’argent ; telles sont les causes les plus sensibles de l’opulence et de la misère, de l’intérêt particulier substitué à l’intérêt public, de la haine mutuelle des citoyens, de leur indifférence pour la cause commune, de la corruption du peuple, et de l’affaiblissement de tous les ressorts du gouvernement » Rousseau, Discours sur l’Économie politique, 1755 Analyse du texte avec en italique les éléments critiques avec en surligné bleu les 4 éléments d’une introduction d’explication de texte ; ces parenthèses ne doivent bien sûr ne pas apparaître dans une introduction Si les hommes ont accepté de se soumettre à l’État, c’est parce qu’il y avait avantage soit la protection, soit la liberté. Le rôle de l’État est de faire en sorte que les libertés puissent coexister et que l’inégalité naturelle des hommes sont compensée par une égalité en droits et devant la loi. Pour certains penseurs libéraux, l’État doit s’arrêter là, n’assurer que l’ordre et la justice, mais pour d’autres penseurs politiques, comme Marx , une égalité formelle, en droits, n’est qu’une façade s’il n’y a pas égalité matérielle, d’où sa politique économique d’abolition de la propriété privée. Aussi on peut se demander quelles doivent être les fonctions de l’État et jusqu’où il se doit de corriger les inégalités? C’est le problème dont traite ce texte Rousseau, dans cet extrait du Discours de l’économie politique de 1755, objet de notre explication, soutient que l’État ne doit pas se contenter de veiller à l’égalité des droits et devant la loi, il doit aussi se préoccuper des inégalités socio-économiques. C’est la réponse de l’auteur sur cette question C’est sur cette thèse que s’ouvre aux lignes 1 et 2 sa réflexion, thèse justifiée par le lien étroit entre égalité en droits et égalité de fait, souligné aux lignes 2 à 4. Excluant un certain type de politique aux lignes 4 à 7, il va proposer des mesures à la fois économiques, politiques et morales pour prévenir ses inégalités menaçant les droits et devoirs de chacun. C’est le plan du texte qui sera le plan de l’explication du texte Tout en explicitant sa position, nous pourrons nous demander si elle est justifiée et suffisante. ce sera l’axe critique de l’explication – L’extrait s’ouvre donc aux lignes 1 et 2 sur une définition des missions de l’État. Elles ont présenté comme difficiles à remplir et comme ce qu’il y a de plus nécessaire ». Le nécessaire, c’est ce qui ne peut pas ne pas être , ce qui s’oppose au contingent. On peut donc penser que pour Rousseau qu’elles découlent de la nature même de l’État. C’est ce qu’on comprend bien pour la première des missions. Si les hommes ont accepté de se soumettre à l’autorité de l’État , c’est parce qu’il le jugeait nécessaire, pour mettre un terme aux rapports de force fondés sur l’inégalité c’était l’hypothèse de Hobbes ou pour que chacun soit protégé par la force commune ce sera l’hypothèse de Rousseau en 1762 dans son Contrat. Dans les deux cas, il faut qu’il y ait égalité devant la loi, pour que personne ne soit lésé et chacun également protégé. Par contre concernant la seconde mission, protéger le pauvre contre la tyrannie du riche », on peut penser que cette mission n’est pas directement à la charge de l’État. Si le riche est égal devant la loi et en droits avec le pauvre, alors la l’égalité et par là la justice associée naturellement au droit et à l’égalité règne. L’égalité devant la loi prévient, justement de cette tyrannie » du riche. Un tyran est celui qui exerce de manière abusive son pouvoir et qui surtout est au dessus des lois qu’il impose aux autres. Sous un État juste, il n’y a pas de tyran, tout le monde obéit à la loi et personne n’est au-dessus des lois. Donc corriger l’inégalité économique ne semble pas nécessaire, l’égalité devant la loi annule en quelque sorte le jeu des forces entre le fort et le faible. On peut cependant noter que sur ce point Marx sera au XIXème siècle moins affirmatif, les dominants économiquement étant aussi ceux qui détiennent le pouvoir et la justice n’est alors que la défense de leur intérêt érigé en intérêt général. Mais même si Rousseau ne va pas jusqu’à cette analyse marxiste, il souligne que la seconde mission est tout aussi nécessaire que la première et même que la première ne peut être remplie sans la seconde. – En effet, aux lignes 2 à 4, il explicite cette tyrannie. Quand il y a inégalité, c’est seulement sur la médiocrité » que les lois ont force de lois. La médiocrité, c’est ici l’état de ce qui se situe dans la moyenne, c’est l’état de fortune moyen. Cette classe moyenne, dirait-on aujourd’hui, n’échappe pas aux lois, par contre les classes riches et pauvres y échappent. Les riches avec leur trésor » ,ils sont capables de passer au travers des filets de la loi brise la toile » soit parce qu’ils peuvent s’autoriser à la transgresser en payant les amendes si nécessaires ou à les éviter en achetant des passe-droits, en trouvant bien conseillés des vides juridiques ou des moyens de la contourner ou d’atténuer son effet. Les pauvres eux, vivants en marge de la société , sans logis, sans biens, sont difficiles à contrôler, arrêter ou il est difficile de leur donner ce que la loi leur octroie. Donc les uns et les autres échappent aux lois, ce qui crée une inégalité devant la loi vis-à-vis des autres citoyens et entre eux. Donc s’il y a inégalités socio-économiques; l’État ne peut rendre justice à tous et il revient donc à l’État de prendre en main ses inégalités et d’élaborer une politique en ce sens. Mais laquelle? – Rousseau exclut aux lignes 4 à 7 , 2 types de mesures qui se recoupent et qui pourraient se résumer ainsi prendre aux riches pour donner aux pauvres, ce que soutiennent certaines politiques modernes d’inspiration communiste ou anti-capitaliste. Pour Rousseau, c’est exclu. En ce qui concerne les pauvres, c’est parce qu’il rejette l’idée d’un simple assistanat pansant les plaies à l’hôpital ou à l’hospice qui accueillait malades et pauvres de la misère, sans la corriger pour autant. Il semble plutôt en appeler à une politique préventive qui empêchent les inégalités de naître ou de se creuser, d’où le refus de l’accumulation de richesse, si s’enrichir n’est pas empêché. En ce qui concerne les riches, on peut imaginer différentes raisons à son refus de les déposséder respect de la liberté d’entreprendre et de s’enrichir, principe d’égalité on ne peut désavantager les uns au détriment des autres, influence de la théorie de la main invisible d’Adam Smith selon laquelle l’enrichissement des riches bien qu’égoïste travaille malgré eux à hausser le niveau, l’idée que la richesse peut être le fruit légitime du travail, etc…En tout cas, l’État ne se doit pas pour autant de se retirer de l’économie et de laisser ses lois rétablir l’équilibre, il doit intervenir mais pas à la manière d’un État providence, comme il est apparu dans la période moderne. – Aux lignes 7 à 12 en exposant les causes de ces inégalités, Rousseau indique implicitement la politique qui lui semblerait adéquate. Il s’agit d’une véritable politique générale, touchant aussi bien au plan de l’organisation du territoire pour éviter la surpopulation et l’exode et donc la rareté du travail ou la non-exploitation de certaines richesse, qu’au plan politique avec une meilleure gestion de l’argent publique et éviter les prélèvements le publicain étant celui qui relève l’impôt, qu’au plan de la politique économique en veillant à l’équilibre entre les différents secteurs primaire agriculture et artisanat et secondaire industrie et en contrôlant le commerce et même au plan des mœurs, que l’argent et les arts d’agrément pervertissent en détournant de la vertu. On retrouve ici une idée déjà présente chez Aristote du danger de la volonté d’accumuler l’argent pour l’argent, qui d’un moyen de l’échange, en devient le but; ou chez Saint-Thomas d’Aquin qui voit dans l’épargne un mauvais mésusage de l’argent. Quant à la dissolution des mœurs par les arts, Rousseau y a consacré un discours en 1750 pour dénoncer leur effets amollissants et pervers. L’état se doit donc de faire en sorte que les inégalités n’apparaissent pas ou sont réduites et que le profit ne soit pas le seul moteur de la société qu’il administre. Les dernières lignes du texte souligne à quel point il est nécessaire aussi bien qu’en un sens un devoir de l’État que d’avoir cette politique générale sans laquelle non seulement les lois ne peuvent s’appliquer à tous, mais même sans lesquelles elles ne peuvent être ce qu’elles doivent à savoir l’expression de la volonté générale au nom de l’intérêt général, comme le soulignera Du contrat social. Les inégalités socio-économiques créent des intérêts divergents, contradictoire qui ne peuvent être concilier dans une volonté commune, elles font que les hommes ne pensent qu’à leur intérêt privé on peut ici au matérialisme médiocre des hommes dans les démocraties modernes dénoncé par Tocqueville qui laisse au nom de l’égalité et de la sécurité des corps et des pieds s’installer une nouvelle forme de despotisme paternelet dédaignent l’intérêt commun, au nom duquel ils devraient être capables de sacrifier leur intérêts personnels et elles font enfin que même les gouvernants ne sont plus intègres, eux-mêmes corrompus ou expression de cette domination de l’argent et de la richesse , comme le dénoncera Marx. Nous avons donc vu que Rousseau attendait de l’Etat une égalité en droit mais aussi une réduction des inégalités de fait par une véritable politique socio-économico-politico-morale. On peut juger qu’ici l’État outrepasse sa mission, et porte atteinte aux libertés individuelles, ou qu’il se contente de réduire, ce qui devrait être éliminé; en tout cas, la position de Rousseau dessine une politique à la fois soucieuse d’une économie florissante mais encadrée par l’État et l’idée qu’une démocratie, c’est d’abord une société qu’il faut s’efforcer de dériver vers le luxe, le superflu et le triomphe de l’argent est intéressante, même si, là encore, on peut juger que ce n’est pas à l’État d’éduquer les hommes, et que Rousseau confond 2 domaines à distinguer la politique et la morale, pour permettre au politique de ne pas être angélique et inefficace comme le soulignait Machiavel et aux hommes d’être libre dans leur vie privée. BOUDON, BOURDIEU par seko-eco Culture Deuxième jour de notre semaine thématique consacrée à la figure et aux travaux de Pierre Clastres, anthropologue et ethnologue français, qui s’est attaché à démontrer que les sociétés primitives ne sont pas restées dans l’ignorance du pouvoir et de l’État, mais qu’elles se sont construites afin que l’État ne puisse pas apparaître. Publié en 1974 et régulièrement réédité depuis, La société contre l’État » est l’ouvrage le plus important de Clastres, et le plus connu également. Nous avons souhaité vous en proposer quelques extraits issus de son dernier chapitre. Les sociétés primitives sont des sociétés sans État ce jugement de fait, en lui-même exact, dissimule en vérité une opinion, un jugement de valeur qui grève dès lors la possibilité de constituer une anthropologie politique comme science rigoureuse. Ce qui en fait est énoncé, c’est que les sociétés primitives sont privées de quelque chose – l’État – qui leur est, comme à toute autre société – la nôtre par exemple – nécessaire. Ces sociétés sont donc incomplètes. Elles ne sont pas tout à fait de vraies sociétés – elles ne sont pas policées – elles subsistent dans l’expérience peut-être douloureuse d’un manque – manque de l’État – qu’elles tenteraient, toujours en vain, de combler. Plus ou moins confusément, c’est bien cela que disent les chroniques des voyageurs ou les travaux des chercheurs on ne peut pas penser la société sans l’État, l’État est le destin de toute société. On décèle en cette démarche un ancrage ethnocentriste d’autant plus solide qu’il est le plus souvent inconscient. La référence immédiate, spontanée, c’est, sinon le mieux connu, en tout cas le plus familier. Chacun de nous porte en effet en soi, intériorisée comme la foi du croyant, cette certitude que la société est pour l’État. Comment dès lors concevoir l’existence même des sociétés primitives, sinon comme des sortes de laissés pour compte de l’histoire universelle, des survivances anachroniques d’un stade lointain partout ailleurs depuis longtemps dépassé ? On reconnaît ici l’autre visage de l’ethnocentrisme, la conviction complémentaire que l’histoire est à sens unique, que toute société est condamnée à s’engager en cette histoire et à en parcourir les étapes qui, de la sauvagerie, conduisent à la civilisation. Tous les peuples policés ont été sauvages », écrit Raynal. Mais le constat d’une évolution évidente ne fonde nullement une doctrine qui, nouant arbitrairement l’état de civilisation à la civilisation de l’État, désigne ce dernier comme terme nécessaire assigné à toute société. On peut alors se demander ce qui a retenu sur place les derniers peuples encore sauvages. Derrière les formulations modernes, le vieil évolutionnisme demeure, en fait, intact. Plus subtil de se dissimuler dans le langage de l’anthropologie, et non plus de la philosophie, il affleure néanmoins au ras des catégories qui se veulent scientifiques. On s’est déjà aperçu que, presque toujours, les sociétés archaïques sont déterminées négativement, sous les espèces du manque sociétés sans État, sociétés sans écriture, sociétés sans histoire. Du même ordre apparaît la détermination de ces sociétés sur le plan économique sociétés à économie de subsistance. Si l’on veut signifier par là que les sociétés primitives ignorent l’économie de marché où s’écoulent les surplus produits, on ne dit strictement rien, on se contente de relever un manque de plus, et toujours par référence à notre propre monde ces sociétés qui sont sans État, sans écriture, sans histoire, sont également sans marché. Mais, peut objecter le bon sens, à quoi bon un marché s’il n’y a pas de surplus ? Or l’idée d’économie de subsistance recèle en soi l’affirmation implicite que, si les sociétés primitives ne produisent pas de surplus, c’est parce qu’elles en sont incapables, entièrement occupées qu’elles seraient à produire le minimum nécessaire à la survie, à la subsistance. Image ancienne, toujours efficace, de la misère des Sauvages. Et, afin d’expliquer cette incapacité des sociétés primitives de s’arracher à la stagnation du vivre au jour le jour, à cette aliénation permanente dans la recherche de la nourriture, on invoque le sous-équipement technique, l’infériorité technologique. Qu’en est-il en réalité ? Si l’on entend par technique l’ensemble des procédés dont se dotent les hommes, non point pour s’assurer la maîtrise absolue de la nature ceci ne vaut que pour notre monde et son dément projet cartésien dont on commence à peine à mesurer les conséquences écologiques, mais pour s’assurer une maîtrise du milieu naturel adaptée et relative à leurs besoins, alors on ne peut plus du tout parler d’infériorité technique des sociétés primitives elles démontrent une capacité de satisfaire leurs besoins au moins égale à celle dont s’enorgueillit la société industrielle et technicienne. C’est dire que tout groupe humain parvient, par force, à exercer le minimum nécessaire de domination sur le milieu qu’il occupe. On n’a jusqu’à présent connaissance d’aucune société qui se serait établie, sauf par contrainte et violence extérieure, sur un espace naturel impossible à maîtriser ou bien elle disparaît, ou bien elle change de territoire. Ce qui surprend chez les Eskimo ou chez les Australiens, c’est justement la richesse, l’imagination et la finesse de l’activité technique, la puissance d’invention et d’efficacité que démontre l’outillage utilisé par ces peuples. Il n’est d’ailleurs que de se promener dans les musées ethnographiques la rigueur de fabrications des instruments de la vie quotidienne fait presque de chaque modeste outil une oeuvre d’art. Il n’y a donc pas de hiérarchie dans le champ de la technique, il n’y a pas de technologie supérieure ni inférieure ; on ne peut mesurer un équipement technologique qu’à sa capacité de satisfaire, en un milieu donné, les besoins de la société. Et, de ce point de vue, il ne paraît nullement que les sociétés primitives se montrèrent incapables de se donner les moyens de réaliser cette fin. Cette puissance d’innovation technique dont font preuve les sociétés primitives se déploie, certes, dans le temps. Rien n’est donné d’emblée, il y a toujours le patient travail d’observation et de recherche, la longue succession des essais, erreurs, échecs et réussites. Les préhistoriens nous enseignent le nombre de millénaires qu’il fallut aux hommes du paléolithique pour substituer aux grossiers bifaces du début les admirables lames du solutréen. D’un autre point de vue, on remarque que la découverte de l’agriculture et la domestication des plantes sont presque contemporaines en Amérique et dans l’Ancien Monde. Et force est de constater que les Amérindiens ne le cèdent en rien, bien au contraire, dans l’art de sélectionner et différencier de multiples variétés de plantes utiles. […] Jeune Aché le nom des Guayaki en langue guayaki arborant ses peintures corporelles, Arroyo Morotí la “réserve” guayaki, 1963© Laboratoire d’anthropologie sociale, fonds Sebag Il y a là un préjugé tenace, curieusement coextensif à l’idée contradictoire et non moins courante que le Sauvage est paresseux. Si dans notre langage populaire on dit “travailler comme un nègre”, en Amérique du Sud en revanche on dit “fainéant comme un Indien”. Alors, de deux choses l’une ou bien l’homme des sociétés primitives, américaines et autres, vit en économie de subsistance et passe le plus clair de son temps dans la recherche de la nourriture ; ou bien il ne vit pas en économie de subsistance et peut donc se permettre des loisirs prolongés en fumant dans son hamac. C’est ce qui frappa, sans ambiguïté, les premiers observateurs européens des Indiens du Brésil. Grande était leur réprobation à constater que des gaillards pleins de santé préféraient s’attifer comme des femmes de peintures et de plumes au lieu de transpirer sur leurs jardins. Gens donc qui ignoraient délibérément qu’il faut gagner son pain à la sueur de son front. C’en était trop, et cela ne dura pas on mit rapidement les Indiens au travail, et ils en périrent. Deux axiomes en effet paraissent guider la marche de la civilisation occidentale, dès son aurore le premier pose que la vraie société se déploie à l’ombre protectrice de l’État ; le second énonce un impératif catégorique il faut travailler. Les Indiens ne consacraient effectivement que peu de temps à ce que l’on appelle le travail. Et ils ne mouraient pas de faim néanmoins. Les chroniques de l’époque sont unanimes à décrire la belle apparence des adultes, la bonne santé des nombreux enfants, l’abondance et la variété des ressources alimentaires. Par conséquent, l’économie de subsistance qui était celle des tribus indiennes n’impliquait nullement la recherche angoissée, à temps complet, de la nourriture. Donc une économie de subsistance est compatible avec une considérable limitation du temps consacré aux activités productives. Soit le cas des tribus sud-américaines d’agriculteurs, les Tupi-Guarani par exemple, dont la fainéantise irritait tant les Français et les Portugais. La vie économique de ces Indiens se fondait principalement sur l’agriculture, accessoirement sur la chasse, la pêche et la collecte. Un même jardin était utilisé pendant quatre à six années consécutives. Après quoi on l’abandonnait, en raison de l’épuisement du sol ou, plus vraisemblablement, de l’invasion de l’espace dégagé par une végétation parasitaire difficile à éliminer. Le gros du travail, effectué par les hommes, consistait à défricher, à la hache de pierre et par le feu, la superficie nécessaire. Cette tâche, accomplie à la fin de la saison des pluies, mobilisait les hommes pendant un ou deux mois. Presque tout le reste du processus agricole – planter, sarcler, récolter –, conformément à la division sexuelle du travail, était pris en charge par les femmes. Il en résulte donc cette conclusion joyeuse les hommes, c’est-à-dire la moitié de la population, travaillaient environ deux mois tous les quatre ans ! Quant au reste du temps, ils le vouaient à des occupations éprouvées non comme peine mais comme plaisir chasse, pêche ; fêtes et beuveries; à satisfaire enfin leur goût passionné pour la guerre. […] Nous voici donc bien loin du misérabilisme qu’enveloppe l’idée d’économie de subsistance. Non seulement l’homme des sociétés primitives n’est nullement contraint à cette existence animale que serait la recherche permanente pour assurer la survie ; mais c’est même au prix d’un temps d’activité remarquablement court qu’est obtenu – et au-delà – ce résultat. Cela signifie que les sociétés primitives disposent, si elles le désirent, de tout le temps nécessaire pour accroître la production des biens matériels. Le bon sens alors questionne pourquoi les hommes de ces sociétés voudraient-ils travailler et produire davantage, alors que trois ou quatre heures quotidiennes d’activité paisible suffisent à assurer les besoins du groupe ? À quoi cela leur servirait-il ? À quoi serviraient les surplus ainsi accumulés ? Quelle en serait la destination ? C’est toujours par force que les hommes travaillent au-delà de leurs besoins. Et précisément cette force-là est absente du monde primitif, l’absence de cette force externe définit même la nature des sociétés primitives. On peut désormais admettre, pour qualifier l’organisation économique de ces sociétés, l’expression d’économie de subsistance, dès lors que l’on entend par là non point la nécessité d’un défaut, d’une incapacité, inhérents à ce type de société et à leur technologie, mais au contraire le refus d’un excès inutile, la volonté d’accorder l’activité productrice à la satisfaction des besoins. Et rien de plus. D’autant que, pour cerner les choses de plus près, il y a effectivement production de surplus dans les sociétés primitives la quantité de plantes cultivées produites manioc, maïs, tabac, coton, etc. dépasse toujours ce qui est nécessaire à la consommation du groupe, ce supplément de production étant, bien entendu, inclus dans le temps normal de travail. Ce surplus-là, obtenu sans surtravail, est consommé, consumé, à des fins proprement politiques, lors des fêtes, invitations, visites d’étrangers, etc. L’avantage d’une hache métallique sur une hache de pierre est trop évident pour qu’on s’y attarde on peut abattre avec la première peut-être dix fois plus de travail dans le même temps qu’avec la seconde ; ou bien accomplir le même travail en dix fois moins de temps. Et lorsque les Indiens découvrirent la supériorité productive des haches des hommes blancs, ils les désirèrent, non pour produire plus dans le même temps, mais pour produire autant en un temps dix fois plus court. C’est exactement le contraire qui se produisit, car avec les haches métalliques firent irruption dans le monde primitif indien la violence, la force, le pouvoir qu’exercèrent sur les Sauvages les civilisés nouveaux venus. […] Pierre Clastres lors de l’un de ses séjours ethnographiques Dans la société primitive, société par essence égalitaire, les hommes sont maîtres de leur activité, maîtres de la circulation des produits de cette activité ils n’agissent que pour eux-mêmes, quand bien même la loi d’échange des biens médiatise le rapport direct de l’homme à son produit. Tout est bouleversé, par conséquent, lorsque l’activité de production est détournée de son but initial, lorsque, au lieu de produire seulement pour lui-même, l’homme primitif produit aussi pour les autres, sans échange et sans réciprocité. C’est alors que l’on peut parler de travail quand la règle égalitaire d’échange cesse de constituer le “code civil” de la société, quand l’activité de production vise à satisfaire les besoins des autres, quand à la règle échangiste se substitue la terreur de la dette. C’est bien là en effet qu’elle s’inscrit, la différence entre le Sauvage amazonien et l’Indien de l’empire inca. Le premier produit en somme pour vivre, tandis que le second travaille, en plus, pour faire vivre les autres, ceux qui ne travaillent pas, les maîtres qui lui disent il faut payer ce que tu nous dois, il faut éternellement rembourser ta dette à notre égard. Quand, dans la société primitive, l’économique se laisse repérer comme champ autonome et défini, quand l’activité de production devient travail aliéné, comptabilisé et imposé par ceux qui vont jouir des fruits de ce travail, c’est que la société n’est plus primitive, c’est qu’elle est devenue une société divisée en dominants et dominés, en maîtres et sujets, c’est qu’elle a cessé d’exorciser ce qui est destiné à la tuer le pouvoir et le respect du pouvoir. La division majeure de la société, celle qui fonde toutes les autres, y compris sans doute la division du travail, c’est la nouvelle disposition verticale entre la base et le sommet, c’est la grande coupure politique entre détenteurs de la force, qu’elle soit guerrière ou religieuse, et assujettis à cette force. La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes. Inachèvement, incomplétude, manque ce n’est certes point de ce côté-là que se révèle la nature des sociétés primitives. Elle s’impose bien plus comme positivité, comme maîtrise du milieu naturel et maîtrise du projet social, comme volonté libre de ne laisser glisser hors de son être rien de ce qui pourrait l’altérer, le corrompre et le dissoudre. C’est à cela qu’il s’agit de se tenir fermement les sociétés primitives ne sont pas les embryons retardataires des sociétés ultérieures, des corps sociaux au décollage “normal” interrompu par quelque bizarre maladie, elles ne se trouvent pas au point de départ d’une logique historique conduisant tout droit au terme inscrit d’avance, mais connu seulement a posteriori, notre propre système social. Si l’histoire est cette logique, comment peut-il exister encore des sociétés primitives ? Tout cela se traduit, sur le plan de la vie économique, par le refus des sociétés primitives de laisser le travail et la production les engloutir, par la décision de limiter les stocks aux besoins socio-politiques, par l’impossibilité intrinsèque de la concurrence – à quoi servirait, dans une société primitive, d’être un riche parmi des pauvres ? – en un mot, par l’interdiction, non formulée mais dite cependant, de l’inégalité. […] Il n’y a évidemment pas de doute que la coupure néolithique a considérablement bouleversé les conditions d’existence matérielle des peuples auparavant paléolithiques. Mais cette transformation fut-elle assez fondamentale pour affecter en sa plus extrême profondeur l’être des sociétés ? Peut-on parler d’un fonctionnement différent des systèmes sociaux selon qu’ils sont prénéolithiques ou postnéolithiques ? L’expérience ethnographique indique plutôt le contraire. Le passage du nomadisme à la sédentarisation serait la conséquence la plus riche de la révolution néolithique, en ce qu’il a permis, par la concentration d’une population stabilisée, la formation des cités et, au-delà, des appareils Étatiques. Mais on décide, ce faisant, que tout “complexe” technoculturel dépourvu de l’agriculture est nécessairement voué au nomadisme. Voilà qui est ethnographiquement inexact une économie de chasse, pêche et collecte n’exige pas obligatoirement un mode de vie nomadique. Plusieurs exemples, tant en Amérique qu’ailleurs, l’attestent l’absence d’agriculture est compatible avec la sédentarité. Ce qui laisserait supposer au passage que si certains peuples n’ont pas acquis l’agriculture, alors qu’elle était écologiquement possible, ce n’est pas par incapacité, retard technologique, infériorité culturelle, mais, plus simplement, parce qu’ils n’en avaient pas besoin. L’histoire post-colombienne de l’Amérique présente le cas de populations d’agriculteurs sédentaires qui, sous l’effet d’une révolution technique conquête du cheval et, accessoirement, des armes à feu ont choisi d’abandonner l’agriculture pour se consacrer à peu près exclusivement à la chasse, dont le rendement était multiplié par la mobilité décuplée qu’assurait le cheval. Dès lors qu’elles devinrent équestres, les tribus des Plaines en Amérique du Nord ou celles du Chaco en Amérique du Sud intensifièrent et étendirent leurs déplacements mais on est là bien loin du nomadisme sur lequel on rabat généralement les bandes de chasseurs-collecteurs tels les Guayaki du Paraguay et l’abandon de l’agriculture ne s’est pas traduit, pour les groupes en question, par la dispersion démographique ni par la transformation de l’organisation sociale antérieure. Le Rio Paraguay, environnement des Guayaki Que nous apprennent ce mouvement du plus grand nombre de sociétés de la chasse à l’agriculture, et le mouvement inverse, de quelques autres, de l’agriculture à la chasse ? C’est qu’il paraît s’accomplir sans rien changer à la nature de la société; que celle-ci demeure identique à elle-même lorsque se transforment seulement ses conditions d’existence matérielle ; que la révolution néolithique, si elle a considérablement affecté, et sans doute facilité, la vie matérielle des groupes humains d’alors, n’entraîne pas mécaniquement un bouleversement de l’ordre social. En d’autres termes, et pour ce qui concerne les sociétés primitives, le changement au niveau de ce que le marxisme nomme l’infrastructure économique ne détermine pas du tout son reflet corollaire, la superstructure politique, puisque celle-ci apparaît indépendante de sa base matérielle. Le continent américain illustre clairement l’autonomie respective de l’économie et de la société. Des groupes de chasseurs-pêcheurs-collecteurs, nomades ou non, présentent les mêmes propriétés socio-politiques que leurs voisins agriculteurs sédentaires infrastructures » différentes, superstructure » identique. Inversement, les sociétés méso-américaines – sociétés impériales, sociétés à État – étaient tributaires d’une agriculture qui, plus intensive qu’ailleurs, n’en demeurait pas moins, du point de vue de son niveau technique, très semblable à l’agriculture des tribus “sauvages” de la Forêt Tropicale infrastructure » identique, superstructures » différentes, puisqu’en un cas il s’agit de sociétés sans État, dans l’autre d’États achevés. […] L’État, dit-on, est l’instrument qui permet à la classe dominante d’exercer sa domination violente sur les classes dominées. Soit. Pour qu’il y ait apparition d’État, il faut donc qu’il y ait auparavant division de la société en classes sociales antagonistes, liées entre elles par des relations d’exploitation. Donc la structure de la société – la division en classes – devrait précéder l’émergence de la machine étatique. Observons au passage la fragilité de cette conception purement instrumentale de l’État. Si la société est organisée par des oppresseurs capables d’exploiter les opprimés, c’est que cette capacité d’imposer l’aliénation repose sur l’usage d’une force, c’est-à-dire sur ce qui fait la substance même de l’État, monopole de la violence physique légitime ». À quelle nécessité répondrait dès lors l’existence d’un État, puisque son essence – la violence – est immanente à la division de la société, puisqu’il est, en ce sens, donné d’avance dans l’oppression qu’exerce un groupe social sur les autres ? Il ne serait que l’inutile organe d’une fonction remplie avant et ailleurs. Articuler l’apparition de la machine étatique à la transformation de la structure sociale conduit seulement à reculer le problème de cette apparition. Car il faut alors se demander pourquoi se produit, au sein d’une société primitive, c’est-à-dire d’une société non divisée, la nouvelle répartition des hommes en dominants et dominés. Quel est le moteur de cette transformation majeure qui culminerait dans l’installation de l’État ? Son émergence sanctionnerait la légitimité d’une propriété privée préalablement apparue, l’État serait le représentant et le protecteur des propriétaires. Fort bien. Mais pourquoi y aurait-il apparition de la propriété privée en un type de société qui ignore, perce qu’il la refuse, la propriété ? Pourquoi quelques-uns désirèrent-ils proclamer un jour ceci est à moi », et comment les autres laissèrent-ils ainsi s’établir le germe de ce que la société primitive ignore, l’autorité, l’oppression, l’État ? Ce que l’on sait maintenant des sociétés primitives ne permet plus de rechercher au niveau de l’économique l’origine du politique. Ce n’est pas sur ce sol-là que s’enracine l’arbre généalogique de l’État. Il n’y a rien, dans le fonctionnement économique d’une société primitive, d’une société sans État, rien qui permette l’introduction de la différence entre plus riches et plus pauvres, car personne n’y éprouve le désir baroque de faire, posséder, paraître plus que son voisin. La capacité, égale chez tous, de satisfaire les besoins matériels, et l’échange des biens et services, qui empêche constamment l’accumulation privée des biens, rendent tout simplement impossible l’éclosion d’un tel désir, désir de possession qui est en fait désir de pouvoir. La société primitive, première société d’abondance, ne laisse aucune place au désir de surabondance. […] S’il paraît encore impossible de déterminer les conditions d’apparition de l’État, on peut en revanche préciser les conditions de sa non-apparition, et les textes qui ont été ici rassemblés tentent de cerner l’espace du politique dans les sociétés sans État. Sans foi, sans loi, sans roi ce qu’au XVIe siècle l’Occident disait des Indiens peut s’étendre sans difficulté à toute société primitive. Ce peut être même le critère de distinction une société est primitive si lui fait défaut le roi, comme source légitime de la loi, c’est-à-dire la machine étatique. Inversement, toute société non primitive est une société à État peu importe le régime socio-économique en vigueur. C’est pour cela que l’on peut regrouper en une seule classe les grands despotismes archaïques – rois, empereurs de Chine ou des Andes, pharaons –, les monarchies plus récentes – l’État c’est moi – ou les systèmes sociaux contemporains, que le capitalisme y soit libéral comme en Europe occidentale, ou d’État comme ailleurs… Il n’y a donc pas de roi dans la tribu, mais un chef qui n’est pas un chef d’État. Qu’est-ce que cela signifie ? Simplement que le chef ne dispose d’aucune autorité, d’aucun pouvoir de coercition, d’aucun moyen de donner un ordre. Le chef n’est pas un commandant, les gens de la tribu n’ont aucun devoir d’obéissance. L’espace de la chefferie n’est pas le lieu du pouvoir, et la figure bien mal nommée du “chef” sauvage ne préfigure en rien celle d’un futur despote. Ce n’est certainement pas de la chefferie primitive que peut se déduire l’appareil étatique en général. Iconographie issue de la Chronique des Indiens guayaki, de Pierre Clastres En quoi le chef de la tribu ne préfigure-t-il pas le chef d’État ? En quoi une telle anticipation de l’État est-elle impossible dans le monde des Sauvages ? Cette discontinuité radicale – qui rend impensable un passage progressif de la chefferie primitive à la machine étatique – se fonde naturellement sur cette relation d’exclusion qui place le pouvoir politique à l’extérieur de la chefferie. Ce qu’il s’agit de penser, c’est un chef sans pouvoir, une institution, la chefferie, étrangère à son essence, l’autorité. Les fonctions du chef, telles qu’elles ont été analysées ci-dessus, montrent bien qu’il ne s’agit pas de fonctions d’autorité. Essentiellement chargé de résorber les conflits qui peuvent surgir entre individus, familles, lignages, etc., il ne dispose, pour rétablir l’ordre et la concorde, que du seul prestige que lui reconnaît la société. Mais prestige ne signifie pas pouvoir, bien entendu, et les moyens que détient le chef pour accomplir sa tâche de pacificateur se limitent à l’usage exclusif de la parole non pas même pour arbitrer entre les parties opposées, car le chef n’est pas un juge, il ne peut se permettre de prendre parti pour l’un ou l’autre ; mais pour, armé de sa seule éloquence, tenter de persuader les gens qu’il faut s’apaiser, renoncer aux injures, imiter les ancêtres qui ont toujours vécu dans la bonne entente. Entreprise jamais assurée de la réussite, pari chaque fois incertain, car la parole du chef n’a pas force de loi. Que l’effort de persuasion échoue, alors le conflit risqué de se résoudre dans la violence et le prestige du chef peut fort bien n’y point survivre, puisqu’il a fait la preuve de son impuissance à réaliser ce que l’on attend de lui. À quoi la tribu estime-t-elle que tel homme est digne d’être un chef ? En fin de compte, à sa seule compétence “technique” dons oratoires, savoir-faire comme chasseur, capacité de coordonner les activités guerrières, offensives ou défensives. Et, en aucune manière, la société ne laisse le chef passer au-delà de cette limite technique, elle ne laisse jamais une supériorité technique se transformer en autorité politique. Le chef est au service de la société, c’est la société en elle- même – lieu véritable du pouvoir – qui exerce comme telle son autorité sur le chef. C’est pourquoi il est impossible pour le chef de renverser ce rapport à son profit, de mettre la société à son propre service, d’exercer sur la tribu ce que l’on nomme le pouvoir jamais la société primitive ne tolèrera que son chef se transforme en despote. Haute surveillance en quelque sorte, à quoi la tribu soumet le chef, prisonnier en un espace d’où elle ne le laisse pas sortir. Mais a-t-il envie d’en sortir ? Arrive-t-il qu’un chef désire être chef ? Qu’il veuille substituer au service et à l’intérêt du groupe la réalisation de son propre désir ? Que la satisfaction de son intérêt personnel prenne le pas sur la soumission au projet collectif ? En vertu même de l’étroit contrôle auquel la société – par sa nature de société primitive et non, bien sûr, par souci conscient et délibéré de surveillance – soumet, comme tout le reste, la pratique du leader, rares sont les cas de chefs placés en situation de transgresser la loi primitive tu n’es pas plus que les autres. Rares certes, mais non inexistants il se produit parfois qu’un chef veuille faire le chef, et non point par calcul machiavélique mais bien plutôt parce qu’en définitive il n’a pas le choix, il ne peut pas faire autrement. Expliquons-nous. En règle générale, un chef ne tente pas il n’y songe même pas de subvertir la relation normale conforme aux normes qu’il entretient avec son groupe, subversion qui, de serviteur de la tribu, ferait de lui le maître. Cette relation normale, le grand cacique Alaykin, chef de guerre d’une tribu abipone du Chaco argentin, l’a définie parfaitement dans la réponse qu’il fit à un officier espagnol qui voulait le convaincre d’entraîner sa tribu en une guerre qu’elle ne désirait pas Les Abipones, par une coutume reçue de leurs ancêtres, font tout à leur gré et non à celui de leur cacique. Moi, je les dirige, mais je ne pourrais porter préjudice à aucun des miens sans me porter préjudice à moi-même ; si j’utilisais les ordres ou la force avec mes compagnons, aussitôt ils me tourneraient le dos. Je préfère être aimé et non craint d’eux. » Et, n’en doutons pas, la plupart des chefs indiens auraient tenu le même discours. Il y a cependant des exceptions, presque toujours liées à la guerre. On sait en effet que la préparation et la conduite d’une expédition militaire sont les seules circonstances où le chef trouve à exercer un minimum d’autorité, fondée seulement, répétons-le, sur sa compétence technique de guerrier. Une fois les choses terminées, et quelle que soit l’issue du combat, le chef de guerre redevient un chef sans pouvoir, en aucun cas le prestige consécutif à la victoire ne se transforme en autorité. Tout se joue précisément sur cette séparation maintenue par la société entre pouvoir et prestige, entre la gloire d’un guerrier vainqueur et le commandement qu’il lui est interdit d’exercer. La source la plus apte à étancher la soif de prestige d’un guerrier, c’est la guerre. En même temps, un chef dont le prestige est lié à la guerre ne peut le conserver et le renforcer que dans la guerre c’est une sorte de fuite obligée en avant qui le fait vouloir organiser sans cesse des expéditions guerrières dont il escompte retirer les bénéfices symboliques afférents à la victoire. Tant que son désir de guerre correspond à la volonté générale de la tribu, en particulier des jeunes gens pour qui la guerre est aussi le principal moyen d’acquérir du prestige, tant que la volonté du chef ne dépasse pas celle de la société, les relations habituelles entre la seconde et le premier se maintiennent inchangées. Mais le risque d’un dépassement du désir de la société par celui de son chef, le risque pour lui d’aller au-delà de ce qu’il doit, de sortir de la stricte limite assignée à sa fonction, ce risque est permanent. Le chef, parfois, accepte de le courir, il tente d’imposer à la tribu son projet individuel, il tente de substituer son intérêt personnel à l’intérêt collectif. Renversant le rapport normal qui détermine le leader comme moyen au service d’une fin socialement définie, il tente de faire de la société le moyen de réaliser une fin purement privée la tribu au service du chef, et non plus le chef au service de la tribu. Si “ça marchait” alors on aurait là le lieu natal du pouvoir politique, comme contrainte et violence, on aurait la première incarnation, la figure minimale de l’État. Mais ça ne marche jamais. Dans le très beau récit des vingt années qu’elle passa chez les Yanomami, Elena Valero parle longuement de son premier mari, le leader guerrier Fousiwe. Son histoire illustre parfaitement le destin de la chefferie sauvage lorsqu’elle est, par la force des choses, amenée à transgresser la loi de la société primitive qui, vrai lieu du pouvoir, refuse de s’en dessaisir, refuse de le déléguer. Fousiwe est donc reconnu comme “chef” par sa tribu à cause du prestige qu’il s’est acquis comme organisateur et conducteur de raids victorieux contre les groupes ennemis. Il dirige par conséquent des guerres voulues par sa tribu, il met au service de son groupe sa compétence technique d’homme de guerre, son courage, son dynamisme, il est l’instrument efficace de sa société. Mais le malheur du guerrier sauvage veut que le prestige acquis dans la guerre se perde vite, si ne s’en renouvellent pas constamment les sources. La tribu, pour qui le chef n’est que l’instrument apte à réaliser sa volonté, oublie facilement les victoires passées du chef. Pour lui, rien n’est acquis définitivement et, s’il veut rendre aux gens la mémoire si aisément perdue de son prestige et de sa gloire, ce n’est pas seulement en exaltant ses exploits anciens qu’il y parviendra, mais bien en suscitant l’occasion de nouveaux faits d’armes. Un guerrier n’a pas le choix il est condamné à désirer la guerre. C’est exactement là que passe la limite du consensus qui le reconnaît comme chef. Si son désir de guerre coïncide avec le désir de guerre de la société, celle-ci continue à la suivre. Mais si le désir de guerre du chef tente de se rabattre sur une société animée par le désir de paix – aucune société, en effet, ne désire toujours faire la guerre –, alors le rapport entre le chef et la tribu se renverse, le leader tente d’utiliser la société comme instrument de son but individuel, comme moyen de sa fin personnelle. Or, ne l’oublions pas, le chef primitif est un chef sans pouvoir comment pourrait-il imposer la loi de son désir à une société qui le refuse ? Il est à la fois prisonnier de son désir de prestige et de son impuissance à le réaliser. Que peut-il alors se passer ? Le guerrier est voué à la solitude, à ce combat douteux qui ne le conduit qu’à la mort. Ce fut là le destin du guerrier sud-américain Fousiwe. Pour avoir voulu imposer aux siens une guerre qu’ils ne désiraient pas, il se vit abandonné par sa tribu. Il ne lui restait plus qu’à mener seul cette guerre, et il mourut criblé de flèches. La mort est le destin du guerrier, car la société primitive est telle qu’elle ne laisse pas substituer au désir de prestige la volonté de pouvoir. Ou, en d’autres termes, dans la société primitive, le chef, comme possibilité de volonté de pouvoir, est d’avance condamné à mort. Le pouvoir politique séparé est impossible dans la société primitive, il n’y a pas de place, pas de vide que pourrait combler l’État. Moins tragique en sa conclusion, mais très semblable en son développement est l’histoire d’un autre leader indien, infiniment plus célèbre que l’obscur guerrier amazonien, puisqu’il s’agit du fameux chef apache Geronimo. La lecture de ses Mémoires, bien qu’assez futilement recueillis, se révèle fort instructive. Geronimo n’était qu’un jeune guerrier comme les autres lorsque les soldats mexicains attaquèrent le camp de sa tribu et firent un massacre de femmes et d’enfants. La famille de Geronimo fut entièrement exterminée. Les diverses tribus apaches firent alliance pour se venger des assassins et Geronimo fut chargé de conduire le combat. Succès complet pour les Apaches, qui anéantirent la garnison mexicaine. Le prestige guerrier de Geronimo, principal artisan de la victoire, fut immense. Et, dès ce moment-là, les choses changent, quelque chose se passe en Geronimo, quelque chose passe. Car si, pour les Apaches, satisfaits d’une victoire qui réalise parfaitement leur désir de vengeance, l’affaire est en quelque sorte classée, Geronimo, quant a lui, ne l’entend pas de cette oreille il veut continuer à se venger des Mexicains, il estime insuffisante la défaite sanglante imposée aux soldats. Mais il ne peut, bien sûr, aller seul à l’attaque des villages mexicains. Il tente donc de convaincre les siens de repartir en expédition. En vain. La société apache, une fois atteint le but collectif – la vengeance – aspire au repos. Le but de Geronimo est donc un objectif individuel pour la réalisation duquel il veut entraîner la tribu. Il veut faire de la tribu l’instrument de son désir, alors qu’il fut auparavant, en raison de sa compétence de guerrier, l’instrument de la tribu. Bien entendu, les Apaches n’ont Jamais voulu suivre Geronimo, tout comme les Yanomami refusèrent de suivre Fousiwe. Tout au plus le chef apache réussissait-il parfois, au prix de mensonges à convaincre quelques jeunes gens avides de gloire et de butin. Pour l’une de ces expéditions, l’armée de Geronimo, héroïque et dérisoire, se composait de deux hommes ! Les Apaches qui, en fonction des circonstances, acceptaient le leadership de Geronimo pour son habileté de combattant, lui tournaient systématiquement le dos lorsqu’il voulait mener sa guerre personnelle. Geronimo, dernier grand chef de guerre nord-américain, qui passa trente années de sa vie à vouloir “faire le chef”, et n’y parvint pas… Lucien Sebag et deux Aché, Arroyo Morotí la “réserve” guayaki, 1963© Laboratoire d’anthropologie sociale, fonds Sebag La propriété essentielle c’est-à-dire qui touche à l’essence de la société primitive, c’est d’exercer un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose, c’est d’interdire l’autonomie de l’un quelconque des sous-ensembles qui la constituent, c’est de maintenir tous les mouvements, internes, conscients et inconscients, qui nourrissent la vie sociale, dans les limites et dans la direction voulues par la société. La tribu manifeste entre autres et par la violence s’il le faut sa volonté de préserver cet ordre social primitif en interdisant l’émergence d’un pouvoir politique individuel, central et séparé. Société donc à qui rien n’échappe, qui ne laisse rien sortir hors de soi-même, car toutes les issues sont fermées. Société qui, par conséquent, devrait éternellement se reproduire sans que rien de substantiel ne l’affecte à travers le temps. Il est néanmoins un champ qui, semble-t-il, échappe, en partie au moins, au contrôle de la société, il est un “flux” auquel elle paraît ne pouvoir imposer qu’un “codage” imparfait il s’agit du domaine démographique, domaine régi par des règles culturelles, mais aussi par des lois naturelles, espace de déploiement d’une vie enracinée à la fois dans le social et dans le biologique, lieu d’une “machine” qui fonctionne peut-être selon une mécanique propre et qui serait, par suite, hors d’atteinte de l’emprise sociale. Sans songer à substituer à un déterminisme économique un déterminisme démographique, à inscrire dans les causes – la croissance démographique – la nécessité des effets – transformation de l’organisation sociale –, force est pourtant de constater, surtout en Amérique, le poids sociologique du nombre de la population, la capacité que possède l’augmentation des densités d’ébranler – nous ne disons pas détruire – la société primitive. Il est très probable en effet qu’une condition fondamentale d’existence de la société primitive consiste dans la faiblesse relative de sa taille démographique. Les choses ne peuvent fonctionner selon le modèle primitif que si les gens sont peu nombreux. Ou, en d’autres termes, pour qu’une société soit primitive, il faut qu’elle soit petite par le nombre. Et, de fait, ce que l’on constate dans le monde des Sauvages, c’est un extraordinaire morcellement des “nations”, tribus, sociétés en groupes locaux qui veillent soigneusement à conserver leur autonomie au sein de l’ensemble dont ils font partie, quitte à conclure des alliances provisoires avec les voisins “compatriotes”, si les circonstances – guerrières en particulier – l’exigent. Cette atomisation de l’univers tribal est certainement un moyen efficace d’empêcher la constitution d’ensembles socio-politiques intégrant les groupes locaux et, au-delà, un moyen d’interdire l’émergence de l’État qui, en son essence, est unificateur. Or, il est troublant de constater que les Tupi-Guarani paraissent, à l’époque où l’Europe les découvre, s’écarter sensiblement du modèle primitif habituel, et sur deux points essentiels le taux de densité démographique de leurs tribus ou groupes locaux dépasse nettement celui des populations voisines ; d’autre part, la taille des groupes locaux est sans commune mesure avec celle des unités socio-politiques de la Forêt Tropicale. Bien entendu, les villages tupinamba par exemple, qui rassemblaient plusieurs milliers d’habitants, n’étaient pas des villes ; mais ils cessaient également d’appartenir à l’horizon “classique” de la dimension démographique des sociétés voisines. Sur ce fond d’expansion démographique et de concentration de la population se détache – fait également inhabituel dans l’Amérique des Sauvages, sinon dans celle des Empires – l’évidente tendance des chefferies à acquérir un pouvoir inconnu ailleurs. Les chefs tupi-guarani n’étaient certes pas des despotes, mais ils n’étaient plus tout à fait des chefs sans pouvoir. Ce n’est pas ici le lieu d’entreprendre la longue et complexe tâche d’analyser la chefferie chez les Tupi-Guarani. Qu’il nous suffise simplement de déceler, à un bout de la société, si l’on peut dire, la croissance démographique, et à l’autre, la lente émergence du pouvoir politique. Il n’appartient sans doute pas à l’ethnologie ou du moins pas à elle seule de répondre à la question des causes de l’expansion démographique dans une société primitive. Relève en revanche de cette discipline l’articulation du démographique et du politique, l’analyse de la force qu’exerce le premier sur le second par l’intermédiaire du sociologique. […] Chefferie et langage sont, dans la société primitive, intrinsèquement liés, la parole est le seul pouvoir dévolu au chef plus que cela même, la parole est pour lui un devoir. Mais il est une autre parole, un autre discours, articulé non par les chefs, mais par ces hommes qui aux XVe et XVIe siècles entraînaient derrière eux les Indiens par milliers en de folles migrations en quête de la patrie des dieux c’est le discours des karai, c’est la parole prophétique, parole virulente, éminemment subversive d’appeler les Indiens à entreprendre ce qu’il faut bien reconnaître comme la destruction de la société. L’appel des prophètes à abandonner la terre mauvaise, c’est-à-dire la société telle qu’elle était, pour accéder à la Terre sans Mal, à la société du bonheur divin, impliquait la condamnation à mort de la structure de la société et de son système de normes. Or, à cette société s’imposaient de plus en plus fortement la marque de l’autorité des chefs, le poids de leur pouvoir politique naissant. Peut-être alors est-on fondé à dire que si les prophètes, surgis du cœur de la société, proclamaient mauvais le monde où vivaient les hommes, c’est parce qu’ils décelaient le malheur, le mal, dans cette mort lente à quoi l’émergence du pouvoir condamnait, à plus ou moins long terme, la société tupi-guarani, comme société primitive, comme société sans État. Habités par le sentiment que l’antique monde sauvage tremblait en son fondement, hantés par le pressentiment d’une catastrophe socio-cosmique, les prophètes décidèrent qu’il fallait changer le monde, qu’il fallait changer de monde, abandonner celui des hommes et gagner celui des dieux. Parole prophétique encore vivante, ainsi qu’en témoignent les textes Prophètes dans la jungle » et De l’un sans le multiple ». Les trois ou quatre mille Indiens Guarani qui subsistent misérablement dans les forêts du Paraguay jouissent encore de la richesse incomparable que leur offrent les karai. Ceux-ci ne sont plus, on s’en doute, des conducteurs de tribus, comme leurs ancêtres du XVIe siècle, il n’y a plus de recherche possible de la Terre sans Mal. Mais le défaut d’action semble avoir permis une ivresse de la pensée, un approfondissement toujours plus tendu de la réflexion sur le malheur de la condition humaine. Et cette pensée sauvage, presque aveuglante de trop de lumière, nous dit que le lieu de naissance du Mal, de la source du malheur, c’est l’Un. Il faut peut-être en dire un peu plus long et se demander ce que le sage guarani désigne sous le nom de l’Un. Les thèmes favoris de la pensée guarani contemporaine sont les mêmes qui inquiétaient, voici plus de quatre siècles, ceux que déjà on appelait karai, prophètes. Pourquoi le monde est-il mauvais ? Que pouvons-nous faire pour échapper au mal ? Questions qu’au fil des générations ces Indiens ne cessent de se poser les karai de maintenant s’obstinent pathétiquement à répéter le discours des prophètes d’antan. Ceux-ci savaient donc que l’Un, c’est le mal, ils le disaient, de village en village, et les gens les suivaient dans la recherche du Bien, dans la quête du non-Un. On a donc, chez les Tupi-Guarani du temps de la Découverte, d’un côté une pratique – la migration religieuse – inexplicable si on n’y lit pas le refus de la voie où la chefferie engageait la société, le refus du pouvoir politique séparé, le refus de l’État ; de l’autre, un discours prophétique qui identifie l’Un comme la racine du Mal et affirme la possibilité de lui échapper. À quelles conditions penser l’Un est-il possible ? Il faut que, de quelque façon, sa présence, haïe ou désirée, soit visible. Et c’est pourquoi nous croyons pouvoir déceler, sous l’équation métaphysique qui égale le Mal à l’Un, une autre équation plus secrète et d’ordre politique, qui dit que l’Un, c’est l’État. Le prophétisme tupi-guarani, c’est la tentative héroïque d’une société primitive pour abolir le malheur dans le refus radical de l’Un comme essence universelle de l’État. […] [J]usque dans l’expérience extrême du prophétisme parce que sans doute la société tupi-guarani avait atteint, pour des raisons démographiques ou autres, les limites extrêmes qui déterminent une société comme société primitive, ce que nous montrent les Sauvages, c’est l’effort permanent pour empêcher les chefs d’être des chefs, c’est le refus de l’unification, c’est le travail de conjuration de l’Un, de l’État. L’histoire des peuples qui ont une histoire est, dit-on, l’histoire de la lutte des classes. L’histoire des peuples sans histoire, c’est, dira-t-on avec autant de vérité au moins, l’histoire de leur lutte contre l’État. Nos Desserts Sur le Comptoir, nous vous proposions de comprendre avec Pierre Clastres qu’autorité et État ne font qu’un Un article de Marcelo Campagno sur le Journal du MAUSS, consacré à Pierre Clastres et le problème de l’émergence de l’État Sur le blog de Kévin “L’Impertinent” Victoire, vous pourrez retrouver un extrait du Discours de la servitude volontaire de La Boétie, fondamental pour essayer de comprendre l’acceptation collective du pouvoir coercitif Pour combattre cette domination qui tue notre humanité, nous vous proposions de pratiquer l’insurrection quotidienne Pour les Normands et les voyageurs, un colloque intitulé Pierre Clastres d’une ethnologie de terrain à une anthropologie du pouvoir » se tiendra à Caen les 25, 26 et 27 octobre 2017 N'oubliez pas de cliquer sur les liens des différentes problématiques, afin d'accéder à un choix de textes relatifs à cette problématique particulière. Avertissement Les textes proposés ici étaient, pour beaucoup, susceptibles d'être classés dans plusieurs problématiques. Nous avons cependant choisi de ne les faire apparaître qu'une seule fois, c'est pourquoi il ne faut pas hésiter à explorer toutes les problématiques, afin de trouver un texte vous intéressant. I. Qu'est-ce que l'État ? - L'Etat est-il l'objet essentiel de la théorie politique ? 2. L'essence de l'Etat 3. Etat et gouvernement II. Quelle est la fonction de l'État ? à quoi sert l'État ? - L'État est-il un mal nécessaire ? - L'Etat est-il plus à craindre que l'absence d'Etat ? - Peut-on se passer de l'État ? - Doit-on tout attendre de l'État ? - Peut-on dire avec Hölderlin que Ce qui fait de l'Etat un enfer, c'est que l'homme a voulu en faire son paradis. » ? 1. Assurer le bien commun et en premier lieu la sécurité des citoyens... - La recherche du bien commun est-elle le fondement et la limite de la souveraineté de l'Etat ? - L'intérêt de l'Etat coïncide-t-il avec le bien commun ? - La raison d'être de l'État est-elle de garantir la sécurité du citoyen ? - Le rôle de l'Etat est-il de faire régner la justice ? - Peut-on concevoir la justice sans l'Etat ? - L'Etat a-t-il pour but de maintenir l'ordre ou d'établir la justice ? - La justice ne relève-t-elle que de l'Etat ? - L'État doit-il viser le bonheur des individus ? III. L'individu, la société, le citoyen, dans leur rapport à l'État 1. Le citoyen et l'État Les dangers du despotisme - Faut-il distinguer le citoyen dans l'Etat et l'individu dans la société ? - L'État doit-il éduquer les citoyens ? - L'Etat a-t-il besoin de la mémoire des citoyens - L'Etat est-il l'ami ou l'ennemi de l'individu ? - Est-il dans la nature de l'Etat de refuser les différences ? - L'Etat a-t-il, selon vous, un rôle à jouer dans la vie privée ? - L'Etat peut-il assurer à la fois la liberté et la sécurité des individus ? - Peut-on reconnaître un droit de révolte contre l'Etat ? - L'État est-il l'ami de tous en même temps que l'ennemi de chacun ? 3. La société et l'État - Une société peut-elle se passer d'État ? - Peut-on se passer de l'État ? - Peut-on penser une société sans État ? - Peut-il y avoir une société sans Etat ? IV. Le pouvoir de l'État et ses limites - Par quelles voies un Etat peut-il exercer sa souveraineté ? - À quelles conditions le pouvoir de l'Etat est-il légitime ? a. Nos devoirs envers l'Etat - Que devons-nous à l'État ? 2. Les limites du pouvoir de l'Etat - Faut-il accorder le moins possible à l'Etat ? - Pour limiter le pouvoir de l'Etat, peut-on s'en remettre à l'Etat ? - Le pouvoir de l'Etat est-il facteur de liberté ou d'oppression ? - Pourquoi l'État devrait-il limiter son pouvoir ? - L'État doit-il être sans pitié ? - Pourquoi l'union du droit et de la force dans l'État est-elle un problème ? - La violence exercée au nom de l'État est-elle fondamentalement différente de toutes les autres formes de violence ? - La morale relève-t-elle de la compétence de l'État ? a. L'État est-il au-dessus des lois ? - L'État est-il au-dessus des lois ? - Un gouvernement peut-il légitimement, dans certaines circonstances, agir à l'encontre des lois ? - L'État a-t-il tous les droits ? b. La conception libérale de l'État 3. La critique de l'État 4. La "raison d'État" - L'emploi du mot raison » est-il légitime dans l'expression la raison d'Etat » ? - Y a-t-il vraiment une Raison d'Etat » ? - Peut-on subordonner les Droits de l'homme à la raison d'État ? - La Raison d'État » peut-on tout justifier en son nom ? - Un gouvernement peut-il légitimement, dans certaines circonstances, agir à l'encontre des lois ? 5. État et violence - La violence exercée au nom de l'État est-elle fondamentalement différente de toutes les autres formes de violence ? a. L'Etat naît de la violence - Pourquoi respecter l'autorité de l'État ? - L'État n'impose-t-il l'obéissance que par la force matérielle ? - Est-il légitime de faire prévaloir les exigences de la conscience sur celles de l'État ? - L'obéissance à l'État est-elle toujours une obligation ? - L'État peut-il exiger de chacun qu'il travaille ? VI. État et liberté - Peut-on affirmer que la force de l'État fait la liberté des citoyens ? - Le pouvoir de l'Etat est-il facteur de liberté ou d'oppression ? - Qu'est-ce qu'un Etat libre ? - L'Etat restreint-il la liberté individuelle ? - L'autorité de l' État est-elle compatible avec la liberté des individus ? - La fin de l'Etat est-elle la liberté ? - L'Etat est-il l'ennemi de la liberté ? - La liberté est-elle possible sans un État pour la défendre ? - Serions-nous plus libres sans État ? - Serions-nous libres sans État ? 1. La philosophie anarchiste 2. Le despotisme 3. L'Etat et la liberté d'opinion - Un État démocratique doit-il tolérer toutes les opinions ? - Une religion d'Etat est-elle possible ? Date de création 03/05/2006 1739 Dernière modification 22/12/2020 1537 Catégorie Page lue 18822 fois Doit-on abolir L’Etat L’histoire a été marquée par des interrogations sur la place de l’Etat, sur son rôle politique et social. L’Etat se définit par un ensemble d’administration, d’institutions censées régler la vie en société par l’instauration de lois pour éviter que les hommes ne se nuisent entre eux. L’Etat est donc certes un bienfait pour l’homme mais il constitue également unecontraint. Est-ce à dire que l’Etat est un mal nécessaire ? Il s’agit donc ici d’articuler les notions de moralité, que l’on peut définir comme science du bien, et de la politique qui est l’art de gouverner la cité antique ou l’Etat moderne aujourd’hui. L’Etat est-il nécessaire ? En quoi peut-il constituer un mal pour l’homme ? De là, peut-on en déduire que c’est cette part » mauvaise » de l’Etat qui estnécessaire, ou n’est-ce pas plutôt un autre de ses aspects qui l’est ? Nous sommes donc amenés à nous interroger sur la » légitimité » de l’accomplissement du mal par l’Etat. Ne peut-on pas concevoir un type d’Etat qui répondrait à cette nécessité tout en évitant le mal ? Il faudra donc, dans un premier temps, s’interroger sur ce qui peut rendre la mise en place d’un Etat nécessaire ; puis, dansun second temps, nous verrons dans quelle mesure l’Etat peut être jugé bon ou mauvais et quelle est alors sa légitimité. Enfin, nous nous pencherons sur les conditions de possibilité d’un Etat sans mal, ou du moins d’un Etat qui s’éloignerait du mal. L’analyse de la nature humaine permet de justifier ou non la mise en place d’un Etat. Toutefois, les caractéristiques de l’homme à l’état denature diffèrent selon les philosophes qui les étudient. Cela aboutit-il pour autant à des conceptions différentes quant à la mise en place d’un Etat ou quant à la forme prise par celui-ci ? Pour Aristote, L’homme est un animal politique, autrement dit, l’homme ne peut se concevoir que dans le cadre de la société. Pour les Anciens, le monde suit une hiérarchie, un ordre naturel. L’essence précèdel’existence et chacun a une place dans le monde qui lui revient selon sa nature. Le mal, la violence procède par conséquent d’une atteinte à cet ordre. L’Etat apparaît alors nécessaire pour faire respecter cet ordre naturel qui garantit la paix. Bossuet, un peu plus tard, propose une vision analogue de l’Etat à ceci près que cet ordre naturel est d’origine divine. Dans les deux cas, l’Etat estlégitimé par une transcendance la nature ou Dieu, ce qui s’oppose aux théoriciens du » contrat social » selon lesquels l’Etat tire sa légitimité de la société elle-même, de la nature de l’homme. Il relève donc d’une décision des hommes, il est institué. En effet, Rousseau explique dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes 1755 que l’homme est à l’état de natureun être amoral qui vit seul. La non-satisfaction de ses besoins par la nature l’amène alors à constituer une société. Ainsi, la société serait une provocation et non une vocation comme le sous-entend Aristote. Avec cette société apparaissent les passions, les rivalités et les conflits entre les hommes. L’instauration d’un Etat législateur devient alors nécessaire. Pour Hobbes Le Léviathan,l’homme est un loup pour l’homme. En effet, l’homme a selon lui une propension naturelle à faire le mal et l’état de nature est un état de guerre permanente. L’Eta apparaît alors comme autorité pour régler cette société, corriger l’homme et l’empêcher d’accomplir la violence. Enfin, Locke, pour sa part, considère la liberté et l’égalité comme des attributs, pré-politiques de l’homme. L’Etat est alorslà pour les préserver. L’instauration d’un Etat semble donc être une étape indispensable à l’évolution de toute société, ce qui est confirmé par les utopies que constituent les sociétés sans Etat. En effet, les apologistes de l’anarchie que sont Proudhon et Bakounine considèrent l’Etat comme un mal en lui-même qui n’est pas nécessaires. De même la » dictature du prolétariat » prônée par…

l etat est il un mal nécessaire